PRIX WEPLER - FONDATION LA POSTE 2021

la selection

  • Serge Airoldi, Si maintenant j’oublie mon île, Éditions de l’Antilope

  • Jakuta Alikavazovic, Comme un ciel en nous, Éditions Stock

  • Pierric Bailly, Le Roman de Jim, Éditions P.O.L

  • Marie-Claire Blais, Petites Cendres ou la capture, Éditions du Seuil

  • Pierre Demarty, Mort aux girafes, Le Tripode

  • Quentin Leclerc, Rivage au rapport, Éditions de l’Ogre

  • Philippe Marczewski, Un corps tropical, Éditions inculte

  • Mariette Navarro, Ultramarins, Quidam éditeur

  • Emmanuelle Salasc, Hors gel, Éditions P.O.L

  • Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, Éditions Philippe Rey

  • Laura Vazquez, La Semaine perpétuelle, Éditions du Sous-Sol

  • Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux, Éditions Verdier

le jury

  • Caroline Broué, journaliste (France Culture)

  • Benoît Buquet, historien et critique d’art

  • Mélanie Fleury, lectrice – détenue au Centre pénitentiaire de Rennes

  • Christophe Gilquin, libraire à la Librairie l’Atelier (Paris, 20e)

  • Laurent Le Boterve, lecteur (La Poste)

  • Frédérique Roussel, journaliste (Libération)

  • Blanche Sarfati, lectrice

  • Maren Sell, lectrice et auteure

  • Marie-Catherine Vacher, lectrice

  • Marie-Rose Guarniéri, fondatrice du Prix Wepler-Fondation La Poste

  • Élisabeth Sanchez, secrétaire générale du Prix Wepler-Fondation La Poste

LE LAURÉAT

Antoine Wauters - Mahmoud ou la montée des eaux éditions Verdier

LA MENTION SPÉCIALE

Laura Vazquez - La semaine perpétuelle éditions du sous-sol

Les Discours

Marie-Rose Guarnieri

Depuis 24 ans presque, rituellement, nous sommes là, devant vous.

C’est toujours avec émotion que je retrouve ce flot d’amis, ces centaines de visages de la chaîne du livre. J’en reconnais certains, fidèles, et avec joie j’en découvre de nouveaux, signe que nos métiers perpétuellement se ravivent.

Merci donc de votre présence, qui exprime combien la littérature est encore notre ciment vital, à tous, pour respirer.

Plonger chaque année dans une nouvelle rentrée littéraire nous donne l’impression d’une nuée d’oiseaux livrée à la providence, comme dans le film de Hitchcock… Ici, nous tentons chaque année d’en recueillir quelques-uns et de les choyer dans leurs particularités, leurs complexités… C’est le cœur de leurs textes que nous tentons de conquérir et d’élucider…

Ce soir, je remercie profondément ce nouveau jury tournant 2021 pour son ardeur, ses exigences, ses convictions, sa minutie visionnaire à composer une sélection ou chaque auteur ouvre un horizon littéraire insoupçonné.

Merci de votre engagement désintéressé, de votre temps, de votre amour de la littérature !

Puisque nous sommes dans les remerciements, je suis très consciente de la fidélité que nous offre depuis 24 ans la Fondation la poste. Son mécénat indéfectible a favorisé l’émergence d’une multitude d’actions littéraires plus audacieuses et originales les unes que les autres…Merci d’avoir chaque année permis d’exprimer notre fougue et celle des écrivains…

Quant à M. Christophe Joulie, M. Philippe Deana et toute son équipe, je ne les remercierai jamais assez d’avoir donné l’hospitalité à ce prix.

Comme vous le savez, les cafés ont toujours été les refuges des poètes, des pauvres, des dragueurs, des oisifs et des voyageurs. Je suis fière de notre ancrage dans cette brasserie historique de Paris car ces cafés ont toujours été le domicile de ceux qui n’avaient pas de salon.

C’est un effort, un engagement très coûteux que Christophe Joulie, à travers son groupe, offre à la littérature.

Merci encore à lui d’avoir hébergé la croissance de ce prix et gageons que son lieu en conservera la mémoire !

Grâce à notre initiative : les lectures du jeune Wepler, notre prix a ouvert la porte depuis 4 ans aux lycées professionnels Albert Demain et  Le rebours. Leurs élèves choisissent trois auteurs de notre sélection et l’étudient en classe durant toute une année scolaire. Je salue toute cette jeunesse en espérant qu’à travers cette aventure, ils deviendront de grands lecteurs.

Je voudrais dire que ce prix existe aussi grâce à une équipe que je représente et je vous rassure, ils sont tous aussi fondus que moi : Florence Robert, l’agence de presse La bande en la personne de Arnaud Laborie, Anaïs Hervé, Elizabeth Joël, Olivia Goudard, Philippe Ginésy, Laurent Nucera, Blanche Sarfati…

Merci encore d’être à mes côtés pour le meilleur et pour le pire comme dans les mariages bourgeois !

Ce soir, je remercie du fond du cœur Keren Ann, pour son éclatant talent de musicienne et d’auteur, qui enchante notre nuit.

Mais je voudrais saluer avant tout l’ensemble des écrivains de notre sélection. Tous, vous nous avez réjouis, surpris, encouragé tout simplement à vivre…

Nous sommes admiratifs de l’ingénierie de tous vos livres même si l’exercice d’un jury, hélas, est d’en couronner deux.

Ce choix ne vous efface pas, bien au contraire, nous continuerons de vous défendre partout où nous irons…

Je donne la parole à nos deux lauréats, si vous ne les avez pas encore lus, précipitez-vous demain matin à 10h, chez les libraires car leurs livres sont inoubliables. Que la fête commence ! 

Antoine Wauters

Bon, je vais faire simple et vous dire toute la joie que je ressens ce soir (je regrette d’ailleurs amèrement de ne pas avoir préparé un discours en bonne et due forme…). Joie de recevoir ce prix qui récompense un livre différent dans mon parcours : jusqu’ici, j’ai surtout écrit des fables, des dystopies, des livres dont l’histoire ne se passe ni vraiment ici, ni vraiment aujourd’hui.

Avec « Mahmoud ou la montée des eaux », j’ai voulu parler de la violence contemporaine en plongeant dans la réalité de la guerre en Syrie. J’ai voulu regarder cette réalité-là droit dans les yeux, sans m’en détourner. Et tout l’enjeu du livre, c’était, face à cette barbarie, aux tortures et aux mensonges de Bachar El-Assad, de donner la voix à un personnage qui serait au-delà de ces barbaries et de ces mensonges, quelqu’un qui propagerait une parole humaine et fraternelle, qui en finit avec les logiques de clan, les logiques guerrières. Mahmoud, c’est quelqu’un qui refuse l’idée cartésienne de se rendre « maître et possesseur de la nature « , que ce soit la nature humaine ou la nature tout court. Il sait, lui qui a tout perdu, combien cette soif de domination détruit le monde, piétine les vies.

Je crois qu’à une époque où il nous faut sans cesse choisir notre camp, être pour ou contre ceci, pour ou contre cela, une époque où l’art de la nuance semble à jamais perdu et où tout se polarise tellement, la voix de Mahmoud est salutaire. C’est une voix qui refuse cette logique binaire et qui cherche dans d’autres directions. Mahmoud est un vieux sage, un vieux fou, mais c’est aussi un poète. J’ai voulu écrire un livre poétique, parce que la poésie, pour moi, est non seulement ce qui peut tenir tête à la barbarie, mais ce qui permet de réintroduire du sens dans ce qui n’en a plus.

Mes pensées vont ce soir à tous les poètes syriens qui m’ont nourri et inspiré, et en particulier Saleh Diab, qui a réalisé une superbe anthologie qui leur est consacrée.
Mes pensées vont également au réalisateur Omar Amiralay, décédé juste avant les printemps arabes et qui a passé sa vie à filmer la Syrie baasiste. Mon livre doit beaucoup à son travail.

Je pense bien évidemment au peuple syrien, aux combattants et combattantes et à tous ceux qui ont essayé, et essayent encore, d’arracher un peu de liberté au chaos. Ce prix est pour eux. Il leur revient.

Merci à mes formidables éditrices de chez Verdier, Colette Olive et Michèle Planel. Merci à Pierre Astier et Laure Pécher, mes agents que j’adore. Merci à la Fondation La Poste – et là, j’ai une pensée émue pour mon grand-père, Papou, qui a été postier toute sa vie. Je remercie Marie-Rose Guarniéri et l’ensemble du jury. Vous me faites un immense cadeau en plaçant mon nom à la suite d’écrivains aussi incroyables, et notamment ces deux Marcel chers à mon cœur : Marcel Cohen, que je lis passionnément, et Marcel Moreau, qui fut le premier à m’encourager à mes débuts.

Bien. Assez parlé. Et si nous buvions, maintenant. 

laura vazquez

J’aimerais que mon livre parle et vous dise merci. Lui-même et seul.

Mais les livres ne parlent pas.

Ils ne s’émeuvent pas, heureusement ils n’ont pas d’attentes, car ils sont des morceaux de vérité, des parties du monde, comme les pierres ou comme le vent et comme : quelque chose en nous.

C’est avec ce quelque chose que nous écrivons.

Je voudrais remercier le jury du prix Wepler pour l’accueil offert à ce livre. C’est une très belle surprise. Merci à la librairie des Abbesses. Ce prix est une forme particulière d’encouragement qui donne du cœur et de la patience pour la suite, merci à vous.

Je tiens aussi à remercier mon éditeur, Adrien Bosc, pour son travail magnifique et sincère. Le catalogue des éditions du Sous-sol témoigne d’une recherche au plus près de ce qu’est la littérature aujourd’hui ; c’est une œuvre de construction, patiente et audacieuse, grâce à laquelle des livres comme La semaine perpétuelle trouvent leur endroit juste, leurs lecteurs et lectrices.

Merci aussi aux auteurs et autrices de tant de livres extraordinaires écrits à travers les millénaires qui m’ont appris au moins deux choses, mais dans le fond c’est une seule : ressentir profondément et écrire.

Et puis je remercie les êtres humains, car ils ont inventé l’écriture.

Ce livre est mon premier roman. Quand je l’ai commencé, en 2017, j’en attendais beaucoup – ce qui est à la fois la pire et la plus banale des erreurs.

Avec lui, j’ai dû apprendre à ne plus attendre, à savoir que je ne sais pas, à me retirer en tant que personne, à accepter l’incertitude, à laisser tout l’espace à quelque chose de plus important, de plus mystérieux et de plus puissant que moi

Je remercie ce livre, parce qu’il m’a transformée.

Il m’a mise à ma place.

C’est un sentiment qui me fait penser à une phrase de Mozart que j’ai lu il y a quelque temps.

Mozart, à la fin de sa vie, était un homme malade et fatigué, pourtant il travaillait encore.

Il faisait la musique.

Quand on lui demandait pourquoi vous ne vous reposez pas ?

Pourquoi vous continuez à composer ?

Mozart répondait :

« Je continue à composer parce que cela me fatigue moins que de me reposer. »

Je relis cette phrase :

« Je continue à composer parce que cela me fatigue moins que de me reposer. »

La vérité est simple.

Quand on fait dans la vie ce qu’on a à faire, la fatigue disparaît.

C’est l’endroit de nos vies où la fatigue disparaît.

On est soudain défatigués

Quand on lit un bon poème et qu’une ligne, une phrase, un vers nous touche, alors pour quelques secondes, il n’y a plus de fatigue.

Nous sommes en pleine vie.

De la même manière, quand on écrit la chose vraie, quand on a ce sentiment, pour quelques secondes, quelques minutes, il n’y a plus de fatigue.

Nous devenons ce que nous sommes, comme lorsque nous aimons.

Je vous souhaite de belles lectures encore et longtemps.

Et je vous souhaite, dans vos vies, de vrais repos, un endroit juste.

Merci.